“Tu es le père de cet enfant”. C’est peut être une des premières phrases qui m’est venu en tête lorsque j’ai eu pour la première fois ma fille dans les bras et que je réalisais vraiment ce que c’était que devenir père.
“Tu es le père de cet entant”.
“Tuer le père”.
Ce n’est qu’après coup que je me suis aperçu du double sens que pouvait avoir la phrase “tu es le père”…
Etre ou ne pas être comme son propre père ? Question importante qui a inspiré pléthore d’artistes depuis des millénaires. Comme le dit le (magnifique) Damien Saez dans sa (non moins magnifique) chanson “Jours Etranges” :
“Moi, j’irai tuer mon père,
Non, je ne suis pas un ange,
Et s’il faut toucher la lumière,
En ces jours étranges”
Alors, faut-il vraiment tuer le père pour le devenir ?
Agir “comme” ou “à l’inverse” : quand notre héritage nous détermine
Il y a d’abord ceux qui reproduisent le schéma paternel. Voire le schéma familial dans lequel ils ont vécu dans son ensemble, une fois qu’ils deviennent pères. C’est, au fond, la posture de la simplicité. Une forme d’automatisme, qui confine à la facilité. On dit bien qu’on se “reproduit” quand on a eu des enfants. Alors pourquoi ne pas tout reproduire, y compris en devenant comme notre propre père ! Cela peut paraître ridicule, mais combien de vos amis, dont vous connaissez les parents, se comportent comme eux quand ils ont leurs enfants ? Alors imaginez ce qu’ils peuvent penser en vous regardant 🙂 Je suis convaincu, qu’on le veuille ou non, qu’on ne peut pas totalement s’affranchir de notre figure paternelle, réelle ou fantasmée d’ailleurs; Notre père a forcément été notre modèle, une figure qu’on a admiré, qu’on a écouté, qu’on a voulu copier et dont on a voulu suivre les pas, d’une manière ou d’une autre. En cela, il apparaît impossible de complètement “tuer le père”, car ce serait tuer une part de nous même. Une part inséparable. Une part dont on sait qu’elle permettra aussi, une fois que nos parents seront partis, de garder une trace indélébile d’eux dans notre cœur, et par nos actes de parents.
A l’autre bout du spectre, qui ne connait pas, également, des amis qui essaient de se comporter complètement à l’opposé de l’éducation qu’ils ont reçus, qui sont des papas complètement différents de leur propre père. En ce sens, ils pensent tuer le père pour exister eux mêmes en tant que pères. Mais cette posture “extrême” n’est en fait que le miroir inversé de leur éducation. Ils ne tuent pas le père : ils restent déterminés par les schémas dans lesquels ils ont été élevés, en essayant de prendre leur contrepied. Combien de jeunes pères ont pu tomber dans le piège du laxisme, blessés par une figure paternelle trop autoritaire ?
En devenant papa, sommes nous condamnés à être “déterminés” par la figure de notre propre père ? Entre la reproduction et l’opposition, comment trouver une voie médiane ?
Devenir un papa conscient de son éducation : la clé pour suivre un autre chemin
Au fond, se poser la questions de “tuer le père”, c’est poser la question de ce qui peut être un fardeau sur notre propre chemin de père. Donc plutôt que d’entrer dans un schéma mécanique de “reproduction / opposition”, il faut d’abord essayer de comprendre pourquoi cette question nous interpelle personnellement. Pourquoi, pour quelles raisons pouvons nous ressentir le besoin de “tuer le père” pour nous sentir le devenir pleinement ? Qu’est-ce qui, dans notre passé, dans notre éducation, doit être remis en question pour que nous ayons le sentiment de suivre notre propre chemin ? C’est donc une nécessaire introspection qui s’ouvre à l’apprenti “philosophe” qui se pose cette question ! Y a-t-il un secret de famille auquel on n’a pas eu accès mais qui a pu peser, inconsciemment, sur notre enfance ? Y a-t-il eu des choix personnels ou professionnels de notre père qui ont eu des impacts sur notre vie d’enfant ? Mon frère et moi sommes fils de militaire : nous avons donc déménagé tous les 2 ou 3 ans de notre naissance jusqu’à nos études supérieures : il est clair que l’impact que cela a pu avoir sur nos relations amicales et sur notre développement personnel (nécessité de s’intégrer à chaque fois à de nouveaux groupes d’enfants / adolescents) mérite d’être questionné. Cela pose, chez nous, la question de nos origines : répondre à la question “d’où tu viens ?” est toujours compliqué pour moi, d’où peut être mon attachement précoce à la la Corse, lointaine patrie d’une non moins lointaine partie de ma famille ?
En tout cas, questionner son enfance et son rapport à son père est à mes yeux une étape clé pour échapper à ce “déterminisme” éducatif et nous permettre de faire nos propres choix, conscients, d’éducation de nos enfants
Tâtonner, se tromper, recommencer : une bonne manière de devenir un père “unique”
Dans le fond, pour dépasser cette peur d’être “déterminé” par sa propre éducation, en parallèle de la prise de conscience indispensable que nous évoquions plus haut, il apparait qu’une posture de “papa agile” pourrait être assez efficace. Test and learn. Gardons notre âme d’enfant, essayons et voyons si ça fonctionne. Si c’est le cas, on pérennise. Si ce n’est pas le cas, on corrige. Alors dans les faits, ce n’est pas toujours aussi simple au quotidien Mais l’esprit est là. De mon côté, j’essaie de l’appliquer le plus possible avec mes enfants. Cela passe par des moments au calme, souvent avant de dormir, où je passe en revue les “moments” importants avec mes enfants, en essayant d’analyser ce que j’aurais pu faire différemment, ou au contraire, ce qui est riche d’espoirs. En fait, cette attitude me permet de ne plus vraiment me poser la question “tuer le père ou non”. Je suis moi, un papa en apprentissage permanent, attitude que j’ai décidé d’avoir dans tous les plans de ma vie (dans mon couple, avec mes amis ou au boulot). Je considère que rien n’est acquis et qu’il faut sans cesse mettre ses idées à l’épreuve de la réalité, en ayant l’humilité d’accepter et de reconnaître qu’on peut se tromper, du moment qu’on essaie de changer les choses. Pour nos jeunes enfants, les parents ne sont pas faillibles : ne nous laissons pas bercer par cette illusion ! Et sans tomber dans la caricature du père qui n’a aucune gêne à montrer à ses enfants qu’il est plein de défauts, acceptons de considérer que devenir papa est un processus permanent qui durera toute notre vie !
Quelles que soient nos blessures, quelles que soient nos rancœurs, ou, à l’inverse, quelles que soient les joies et les succès qui ont jalonné la relation avec notre père, je suis convaincu que nous devons, en tant que papa, suivre un chemin qui nous est propre. Notre héritage intellectuel ne doit pas être notre GPS personnel qui nous amène d’un point A à un point B sans qu’on se pose de questions. Il doit plutôt être notre boite à outils, dans laquelle on vient piocher au fil du chemin pour tracer sa propre voie.
Je terminerai cet article en vous conseillant de lire ces quelques vers de Rudyard Kipling, tu seras un homme mon fils, qui illustrent assez bien, à mes yeux, cette voie médiane que nous devons bâtir en devenant père.
Fabrice
Je pense qu’on est tous un peu à l’image de nos pères respectifs. Par contre, nous avons nos propres personnalités et c’est ce qui nous rend uniques. J’ignore si je suis un bon père, mais je sais que je ferais tout pour que mon fils ait une excellente éducation et qu’il ne manque de rien. Attention, il ne sera pas un enfant gâté pour autant. Il apprendra les choses essentielles de la vie comme la valeur du travail bien fait et les récompenses qui vont avec, entre autres. 🙂
Passe une bonne journée