Jeor Mormont n’est pas un des personnages principaux du Trône de Fer. 997ème Commandant de la Garde de Nuit, il vient de l’Ile au Ours, une des provinces du Nord, dont il avait confié la charge à son fils Jorah, contraint à l’exil après avoir vendu des esclaves. Tué par des mutins de la Garde de Nuit, c’est Jon Snow, qu’il avait choisi comme intendant et préparé à cette charge, qui lui succèdera.
Pourquoi donc s’intéresser à cette figure secondaire de Game of Thrones. Car son cas soulève des sujets très intéressants sur le thème de la paternité :
- Compte tenu du crime de son fils, Jeor Mormont a renié son fils unique, Jorah, qui, à ses yeux, n’est plus membre de sa famille. Cela pose la question de la rupture avec ses enfants : que faire en cas de grave conflit avec eux ?
- En parallèle, l’arrivé de Jon chamboule la vie du vieil ours qu’est Jeor. Jon est un enfant sans père. Jeor un père sans enfant. Une relation quasi filiale s’instaure naturellement entre les 2 protagonistes. Ce qui met en lumière le thème de la position de père dans des familles recomposées ou en cas d’adoption : comment se sentir père d’enfants “qui ne sont pas de nous” ?
- Enfin, Jeor Mormont étant un vieil homme, il prépare sa fin et transmet à Jon son épée de famille et ses connaissances, comme un passage de témoin. Ce qui pose la question de l’éducation de nos enfants sur le long terme : que souhaitons nous leur transmettre et que souhaitons nous qu’ils gardent de nous ?
Les ruptures parents / enfants
Jeor renie son fils lorsqu’il apprend son exil forcé après avoir été condamné à mort par Ned Stark pour avoir vendu des captifs à des marchands d’esclave (le tout pour éponger des dettes contractées pour séduire une femme dont il était éperdument amoureux). Pour l’homme d’honneur qu’est Jeor, je crime de son fils était une tâche indélébile sur l’honneur de sa famille et son reniement un impératif moral. Mais pour un père, rejeter son unique héritier à dû être un crève cœur et un dilemme intérieur terrible. Que faire en cas de conflit avec nos enfants ? Que faire quand nos enfants nous déçoivent, nous trompent, ou pire ? En tant que parents, nous sommes habitués à la gestion quotidienne des petites broutilles, des petites tensions (qui dégénèrent déjà trop souvent à mon gout !). Mais les grosses ruptures, les cassures fortes dans la relation avec nos enfants sont de terribles épreuves pour 2 raisons. D’abord parce qu’il est douloureux de vivre une tension avec les gens qu’on aime. Et si l’amour et la haine sont parfois des sentiments plus proches qu’on ne le pense, être en conflit avec des êtres dont on a longtemps été le guide est particulièrement difficile à supporter. Ensuite parce que ces relations douloureuses nous renvoient à nos propres échecs éducatifs. Il est difficile de ne pas penser au fait que nous sommes responsables du comportement de nos enfants, et donc de la situation. En niant au passage l’altérité de mon enfant, et sa liberté propre de décider et choisir son chemin, y compris celui qui nous déplaît. Et s’il est vrai que la plupart des situations de conflits relationnels peuvent trouver une solution “diplomatique” (divorce pour un couple, démission pour le boulot etc.), les conflits parents enfants sont des blessures permanentes qui ne peuvent trouver d’apaisement que dans l’écoute, le pardon et la patience. Peut être que Jeor aurait pardonné à son fils de retour à Westeros au seuil de la mort… pour le bien des 2 hommes.
Comment se sentir père d’enfants “qui ne sont pas de nous” ?
Plusieurs années passent entre la “perte” de son fils et la rencontre entre Jeor et Jon. Le bâtard de Ned Stark. Jeune homme droit, vertueux et courageux. Qui acceptera son rôle d’intendant alors qu’il voulait devenir ranger, comme son oncle. Qui sauvera la vie de Jeor en affrontant un mort-vivant. Et qui le servira fidèlement, pleinement dévoué à son serment de Garde de Nuit. Jeor Mormont a trouvé en Jon les vertus qu’il espérait trouver chez son fils. Et s’il restait son Commandant, c’est une relation privilégiée qui s’est instaurée entre le vieil ours et le bâtard. Ce qui a pu réveiller chez Jeor des sentiments anciens, parfois contradictoires et pas toujours faciles à gérer. Lorsqu’il offre son épée valyrienne, Longclaw, à Jon, c’est son héritage familial qu’il lui transmet, un cadeau à la valeur inestimable qu’on n’offre qu’à ses descendants (la famille Lannister étant une des seules grandes familles de Westeros à ne pas disposer d’une telle arme, au grand dam de Tywin Lannister dont tout l’or de Castral Roc n’a jamais pu acheter de l’acier valyrien). Mais c’est aussi pour lui l’acceptation ultime de la fin de sa lignée de sang, et donc une forme de crève coeur pour un père. C’est donc la question de la relation entre un père et ses enfants “d’adoption” qui se pose un peu ici. Devenir père, c’est un mélange d’instinct “animal” – qui émerge à la naissance de notre enfant, dans un moment d’explosion de sensations, mêlant à la fois angoisse de ne pas savoir quoi faire avec ce petit être, et, au fond, sentiment de certitude d’avoir vécu pour ce moment, comme une évidence qui s’impose à nous – et d’apprentissage quotidien, d’apprivoisement mutuel qui se fait avec notre enfant. Dans le cas d’une adoption, ou d’une famille recomposée, seul l’axe d’apprentissage mutuel a lieu. Ce qui peut fonder une magnifique relation, comme celle de Jeor et Jon, mais qui suppose, pour le père, de dépasser la tension qui peut nous pousser à considérer que la relation filiale n’est qu’affaire de lien du sang.
Que souhaitons nous transmettre à nos enfants et que souhaitons nous qu’ils gardent de nous ?
Comme évoqué précédemment, Jeor transmet à Jon ses “biens” les plus précieux : ses connaissances de la Garde de Nuit, et son épée valyrienne. Un héritage dont Jon saura mesurer l’importance et la générosité. Devenir papa, c’est forcément, à un moment ou un autre, penser à cette notion d’héritage, de transmission, par delà notre propre vie. Et je ne parle pas ici de l’héritage matériel mais de l’héritage “symbolique”, celui qui est un peu le fil conducteur de la famille dont nous sommes un maillon. Je me pose souvent la question de ce que mes enfants pourraient garder “de moi” dans leur vie, même après ma mort. Et une fois l’ego mis de côté (qui espère qu’on gardera de lui le souvenir d’un homme bon, d’un père aimant etc etc), il y a cet espoir que mes enfants porteront toujours en eux une part de moi même. Une qualité forte, une tournure d’esprit, un tic de langage. Qu’importe au fond. Si ce n’est que ce petit rien est à mes yeux notre part d’éternité en ce bas monde !
Bref, le “Lord Commander” Jeor Mormont est un personnage attachant sous ses airs bourrus. Et s’il apparaît presque plus comme un grand père que comme un père, il nous permet de creuser la question de la densité de la relation que nous réussissons à tisser avec nos enfants, au fil des années, pour l’inscrire dans l’histoire la famille, au delà du lien du sang.
[…] Mormont, père de Jorah Mormont, est le 997ème Lord Commandant de la Garde de Nuit au début de la série. Incarnation de la […]