Suite de nos chroniques sur les pères dans Game of Thrones avec un article un peu spécial car nous allons parler de Khal Drogo. Khal Drogo est, au début de l’oeuvre de Georges RR Martin, le plus grand chef Dothraki, force de la nature jamais vaincu au combat, et à la tête de milliers de combattants à cheval. Il épouse Daenerys Targaryen (contrainte par son frère Viserys à se marier avec lui afin qu’il puisse disposer de son armée pour reconquérir Westeros) qui devient sa Khaleesi, sa reine, avec qui il va entretenir une relation passionnée (ce qui en fera un couple “mythique” du Trône de Fer). De cette relation sera conçu un enfant, Rhaego, dont on prédit un destin exceptionnel,celui d’être l’étalon qui montera le monde. Malheureusement, Drogo mourra d’une infection contractée suite à une bataille, et Daenerys fera dans le même temps une fausse couche et perdra Rhaego.
Khal Drogo n’a donc pas été vraiment père. Mais ce personnage soulève quelques questions intéressantes à analyser ici :
- Quand se sent on vraiment devenir père ? Quand l’enfant est là ou pendant la grossesse ? Voire avant, quand le désir d’enfant né dans le couple ?
- Rhaego est censé devenir l’étalon qui montera le monde. Inutile de dire que cet enfant aurait eu une certaine pression sur les épaules ! Ce qui pose la question des attentes parfois exagérées que nous pouvons avoir envers nos enfants.
- Enfin, cette histoire tragique pose la question de la perte : peut on accepter la perte de son enfant ?
Quand se sent on devenir père ?
Quand Drogo apprend qu’il va devenir papa, que Daenerys lui assure que leur enfant sera un fils et qu’on lui prédit qu’il deviendra le plus grand conquérant de l’univers, il devient un autre homme. Ses réticences à conquérir Westeros se lèvent entièrement, son appréhension à faire traverser la mer à ses guerriers à cheval est dépassée et il est prêt à rendre son trône à sa femme pour que son fils règne sur le monde. La perspective de devenir père l’a transformé. On peut même trouver qu’il se projette un peu trop, oubliant la prudence qui pousse à ne pas forcément trop se projeter sur la vie avec l’enfant avant que celui-ci ne soit vraiment parmi nous… Néanmoins, le moment où l’on se sent devenir père est du domaine de l’intime, quelque chose d’éminemment personnel. Certains hommes se sentent père à partir du moment où ils ont désiré avoir l’enfant. D’autres pendant la grossesse, quand l’arrivée de l’enfant se fait plus précise, et que l’on entre dans le “concret”, de l’achat des objets indispensables à l’arrivée du bébé aux cours de préparation à l’accouchement qui nous projette sur le moment où l’enfant sera là. D’autres, enfin, ne réalisent qu’ils sont pères qu’au moment où ils prennent l’enfant dans leurs bras. Cela a été le cas pour moi : je ne me suis senti vraiment papa que quand j’ai vu ma fille pour la première fois. Moment magique qui a brouillé tous mes sens, fait couler mes larmes et transformé à jamais ! C’est d’ailleurs cette transformation qui est, je pense, la clé de la questions au cœur de ce blog. Devenir papa, c’est vivre une transformation intérieure. Rester qui on est tout en devenant différent…
Quel poids faisons nous porter à nos enfants avec nos attentes envers eux ?
S’il avait vécu, Rhaego aurait eu un destin extraordinaire : sa mère serait reine de Westeros et son père le plus grand Khal de l’histoire de Dothrakis. Nouvel Alexandre le Grand, Rhaego aurait pu devenir le plus grand souverain du monde de Game of Thrones, peut être capable de conquérir tous les territoires du lointain Orient… Rien que ça ! Alors certes, nous ne faisons pas tous porter à nos enfants de telles ambitions. Mais pouvons nous affirmer que nous n’avons pas parfois des attentes exagérées vis à vis de nos enfants ? Ne nous leur faisons jamais vraiment porter un poids qui n’est pas leur ? Je suis convaincu que c’est quasiment impossible de l’affirmer ! En effet, combien d’exemples, dans notre entourage, de parents qui poussent leurs chérubins à l’école, à la musique ou au sport ? De manière peut être plus insidieuse, n’aspire-t-on pas à ce que nos enfants soient toujours “parfaits” en toutes circonstances, notamment en public ? Alors que l’on sait parfois au fond de nous que ce sont des comportements normaux d’enfants qui ne devraient pas nous poser de soucis… Nous pouvons parfois sentir en nous cette aspiration à ce que nos enfants soient des prolongements de nous mêmes. Voire des “nouveaux” nous mêmes, qui ont la possibilité d’accomplir ce que nous n’avons pas réussi, ou pas pu (ou voulu) faire. Il y a aussi cette peur de parents, celle de ne pas leur donner suffisamment, ou de ne pas suffisamment les “outiller” pour s’en sortir seuls sur le chemin de l’émancipation. Ce qui a pour conséquence de forcer nos enfants à faire tant de choses “pour leur bien”, “parce qu’ils comprendront plus tard”. Je ne fais absolument pas exception à la règle. Mais depuis que je suis papa, j’essaie au moins vraiment d’avoir conscience de cette propension qu’on peut avoir à faire “peser” certaines choses sur les épaules de nos enfants. Et j’essaie également d’avoir le discernement nécessaire pour faire le tri entre ce qui est légitime (car je ne dis pas qu’il ne faut pas non plus soustraire nos enfants à toute forme de pression !) et ce qui ne l’est pas.
Peut-on accepter la perte d’un enfant ?
Khal Drogo n’a pas vraiment “vécu” la perte de son fils, puisqu’il était dans un état végétatif quand Daenerys a perdu Rhaego. Néanmoins, s’il avait recouvré sa santé, il aurait été confronté à l’une des plus difficiles épreuves qu’un père puisse endurer : la mort de son enfant. J’ai hésité avant d’aborder ce sujet car je n’ai pas vécu moi même cette tragédie, et qu’on est face à un quasi tabou, à une douleur de l’ordre de l’indicible. Néanmoins, je pense que c’est un drame auquel nous avons tous déjà pensé. Et que si l’ordre des choses voudrait que nous, parents, partions avant nos enfants, la perspective que l’inverse arrive nous traverse forcément l’esprit. Et c’est une peur nouvelle qui nous assaille lorsqu’on devient papa : celle de voir disparaître cet être qui est une part de nous même, et de voir avorter une vie pleine qui ne pourra pas se déployer. Peut être même de notre fait…. Poids insoutenable sur nos nouvelles épaules. Mais finalement nouveau rapport à la vie et à la mort qui s’installe en nous. Pour ne pas vivre constamment avec cette peur au ventre, tout en entretenant cette vigilance indispensable à la vie de nos enfants. Et pour continuer à vivre pleinement tout en sachant que toute vie à une fin, la nôtre comme celle de nos enfants. Comme le chantaient les Têtes Raides “Un enfant qui nous vient, c’est une mort à venir” : en avoir conscience, c’est aussi ça, devenir papa !
Khal Drogo est donc un “père” intéressant du Trône de Fer. Il nous permet d’avoir conscience des transformations qui s’opèrent dans notre psyché quand on devient papa. Et de réaliser que cette transformation est immuable, quelle que soit les tragédies que nous pourrions être amenés à vivre au fil des années.
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