Impossible de commencer une chronique sur “les pères dans Game of Thrones” sans évoquer Ned Stark. A première vue le papa idéal. Homme droit et vertueux, mari aimant et fidèle, père attentif et protecteur, seigneur droit et juste. Le genre d’homme qu’on rencontre finalement assez peu, mais qu’on admire toujours avec une pointe de jalousie au fond de l’âme tant on aimerait lui ressembler.
Et pourtant.
Derrière cette image de vertu sans failles du seigneur du Nord se cache justement des faiblesses intéressantes pour les papas que nous sommes.
A mes yeux, les principales questions que la figure de Ned Stark nous pose sont les suivantes :
- Jusqu’où aller pour protéger nos enfants ? Doit-on les confronter à la dureté du monde ou les en préserver le plus longtemps possible ?
- Quel équilibre trouver entre l’attachement à nos principes et l’impact que cela peut avoir sur nos enfants ? En d’autres termes : faut-il renoncer à certaines valeurs pour le bien de nos enfants ?
- Enfin, comment trouver l’équilibre entre devoir / liberté et aspirations personnelles / équilibre familial
Comment protéger nos enfants ?
Ned Stark a élevé ses enfants dans le respect des traditions familiales, mais aussi dans le respect des normes de sa “classe sociale”. Les garçons préparés à se battre, à gérer une province, à juger de manière juste mais ferme. Les filles à épouser des princes et à avoir des activités de femmes de cour. Cet aspect “immuable” de l’éducation, qui permet de pérenniser les valeurs des Stark, est aussi un moyen pour Ned de préserver ses enfants. Pour les garçons, il souhaite éviter qu’ils n’aient à vivre ce que lui même a vécu, à peine sorti de l’adolescence, en étant capable de préserver la paix. Pour les filles, il souhaite qu’elles puissent avoir une vie douce et paisible où elles seraient heureuses à fonder leur famille et gérer leur foyer.
Toute cette construction explose complètement avec la mort du roi Robert et la lutte pour le pouvoir qui s’en suit et dont il est un acteur majeur.
Face à la tragédie, les enfants Stark se trouvent brutalement confrontés à la dureté d’un monde qu’ils ne connaissent finalement pas car ils en ont été grandement protégés. Leur survie se fera au prix d’un apprentissage violent et brutal du réel auquel ils n’étaient que partiellement préparés…
Je trouve que cela fait grandement écho à ce que nous pouvons vivre en tant que père : quelle image de la réalité donner à nos enfants ? Dans un monde où l’empreinte du terrorisme, de la violence économique et des craintes climatiques sont particulièrement présents, doit-on faire en sorte de limiter l’exposition de nos enfants à ces difficultés ? Ou au contraire, les y confronter rapidement pour les aider à les comprendre et s’y adapter ?
Je trouve que c’est très difficile de mettre le curseur au bon endroit. J’ai de mon côté le sentiment d’avoir été trop préservé lors de mon enfance, et la confrontation à la réalité du monde une fois jeune adulte a été particulièrement difficile. Mais en même temps (copyright notre Président 🙂 ), cela m’a permis d’avoir une enfance sereine et de développer des forces qui m’aident aujourd’hui à prendre du recul. Je pense que si j’avais été confronté très tôt à la réalité du monde, j’aurais développé des qualités peut être plus efficaces à court terme pour m’adapter et me protéger mais plus en “réaction” à l’environnement et non des forces de fond qui permettent de prendre du recul.
La clé réside, je pense, dans la compréhension de la psychologie de chacun de ses enfants. Au même titre que Ned a su s’adapter à la demande d’Arya d’entraînement à l’épée (ce qui, mine de rien, a été une clé de sa survie en milieu hostile), nous devons avoir le discernement nécessaire pour nous adapter à nos enfants et leur psychologie. Confronter un enfant d’une grande sensibilité trop tôt à la dure réalité du monde risque de créer plus de dégâts que de forces ! Inversement, trop protéger un enfant assez solide et curieux risque d’endormir ses facultés. D’où l’importance d’avoir une relation de confiance forte avec ses enfants, qui passe nécessairement par le fait de passer suffisamment de temps avec eux pour bien les comprendre !
Faut-il renoncer à certaines valeurs pour le bien de nos enfants ?
Ned Stark, pour protéger sa famille, est allé jusqu’à sacrifier son honneur en acceptant de reconnaître sa participation à un complot qui n’avait jamais eu lieu. Acte terrible pour un homme qui avait (presque) toujours fait de la vérité un pilier de sa vie. Mais un acte qu’il estimait nécessaire pour préserver ses enfants. De même, le mensonge sur l’origine de Jon Snow – tâche sur son honneur que Ned a accepté de porter toute sa vie – n’a eu pour but que de protéger l’enfant d’une mort certaine.
Je trouve que ces exemples illustrent parfaitement certains dilemmes auxquels nous sommes confrontés en tant que père. Nous avons tous des principes, des plus minimes (non, mon enfant n’aura jamais de tétine… NDLR : ne vous accrochez jamais à ce principe !) aux plus structurants, souvent liés à notre propre éducation et notre propre vécu (je veux que mon enfant accorde plus d’importance aux activités manuelles car ça a été une frustration chez moi). Mais que faire quand la réalité vient se heurter à nos principes ? Doit-on “mourir avec ses valeurs” ou “vivre en mettant de l’eau dans son vin” ? On aime se dire qu’on ne transigera jamais avec certaines valeurs, comme la justice ou l’honnêteté. Mais quand il s’agit par exemple d’obtenir une place dans la bonne crèche / la bonne école pour son enfant, ne sommes nous pas prêts à jouer des coudes, quitte à adopter des comportements particulièrement limites d’un point de vue éthique ?
Pour moi, il est clair que pour le bien de nos enfants, nous serons, en tant que père, toujours prêts à faire des concessions avec des valeurs que nous croyions pourtant intangibles. Je pense que la clé est de ne pas tomber dans une contradiction flagrante. Par son côté inflexible, Ned Stark a causé en bonne partie la tragédie de sa famille. Un peu de flexibilité ne fait pas forcément de mal, au contraire. Mais cela ne doit pas pour autant justifier un comportement à géométrie variable qui peut générer, chez l’enfant, une incompréhension et une incapacité à se créer un socle stable de valeurs
Comment trouver l’équilibre entre devoir / liberté et aspirations personnelles / équilibre familial
Dernier point crucial pour moi : comment prendre les bonnes décisions quand on est face à des choix qui impactent la famille dans son ensemble, et donc les enfants au premier chef. La décision de Ned Stark d’accepter la charge de Main du Roi que lui propose Robert Baratheon a finalement fait basculer la vie de toute sa famille. Tout comme le fait d’y emmener ses filles tout en laissant ses garçons à Winterfell. Mais avait-il vraiment le choix ? Aurait-il pu faire autrement ? Le récit laisse indiquer que Ned n’aurait de toute façon pas pu refuser. Mais les conséquences d’un refus auraient-elles été finalement pires que ce qui arrivera finalement aux Stark ?
Nous sommes tous confrontés à des décisions difficiles dont on sait qu’elles vont avoir un impact sur notre propre vie, mais également sur notre épouse et nos enfants. Nous nous cachons souvent derrière l’idée qu’on n’a pas vraiment le choix, en fait. Que refuser cette mission à l’étranger signifiera une carrière professionnelle de seconde zone par exemple. Mais est-ce réellement le cas ? Ne faisons nous pas passer, parfois, nos propres intérêts avant ceux de notre famille ? Ou, inversement, n’adoptons nous pas parfois une posture “sacrificielle” qui nous valorise en donnant le sentiment qu’on est celui qui pense réellement aux autres dans la famille ? Pour le coup, l’exemple de Ned est difficilement “réplicable” dans la réalité car il est peu probable que nous soyons confronté à un choix aussi drastique. Mais si je prends mon exemple personnel, au cours de mes 18 premières années, j’ai déménagé 7 fois compte tenu des responsabilités professionnelles de mon père. Avait-il le choix ? Pas vraiment. Cela a-t-il eu un impact sur mon développement ? Certainement. D’autres alternatives étaient-elles possibles ? Probablement. Auraient-elles été meilleures pour notre famille ? Peut-être. On entre ici dans une démarche de scenarii qui englobe forcément une part d’incertitude. Mais je trouve que se poser la question des conséquences de nos choix sur notre famille et plus particulièrement sur nos enfants est crucial, et nous permet de voir au delà, peut être, de notre ego et de nos désirs égoistes.
Pour conclure,Ned Stark est une figure clé de l’oeuvre de Georges RR Martin. Son empreinte est présente dans tous les romans et ses valeurs, tout comme ses décisions, ont un impact considérable sur les évènements qui se déroulent à Westeros. S’il n’est pas, pour moi, le père parfait que l’on nous dépeint parfois de manière trop caricaturale, il illustre quand même vraiment qu’un élément clé qui compte dans l’éducation de nos enfants, c’est la transmission de clés leur permettant d’être résilient, d’être capable de s’adapter aux difficultés d’un monde auquel ils seront confrontés mais que nous ne connaissons pas au moment où nous les éduquons. Et en ce sens, la capacité à résister des enfants Stark force le respect. Pour cela, leur père peut être fier !
- 17Partages
17
[…] II. Guerrier redoutable. Courageux comme personne. Coureur de jupons invétéré. Grand ami de Ned Stark mais son quasi opposé dans ses valeurs et son comportement. Amoureux fou de Lyanna Stark, sa mort […]