Je dois avouer qu’aborder le personnage de Stannis Baratheon a été particulièrement difficile. Stannis ne laisse personne de glace. On l’aime ou on le déteste. Voire on l’aime et on le déteste. Alternativement. Ou simultanément, ce qui explique pourquoi il est si difficile d’avoir un avis tranché sur lui. Et ce malgré sa monstruosité finale envers sa fille qu’il aimait pourtant profondément. Bref, Stannis est un personnage assez ambivalent, comme les aime Georges RR Martin. Et, en tant que père, je trouve qu’il a pu osciller entre une intransigeance quasi maladive et finalement une monstruosité qui m’a particulièrement surpris (dans la série, car j’ai hâte de savoir ce qu’il adviendra dans le livre qui prend une tournure différente puisque Shoren (ou Shireen) et sa mère Selyse ne sont pas de l’attaque de Stannis contre Winterfell).
Alors pour rappel, Stannis Baratheon est un des frères de Robert Baratheon, roi de Westeros quand débute Game of Thrones. Second de la fratrie, il est théoriquement le prétendant légitime au trône à la mort de son aîné, compte tenu de l’ascendance purement Lannister des “enfants” de Robert (fruits de la relation incestueuse entre Cersei et Jaime). Mais, homme dur et froid, il a toujours poussé l’intransigeance à son paroxysme : pour rappel, sa propre Main, Davos Mervault, ancien contrebandier qui, en apportant une cargaison d’oignons, a sauvé de la famine Stannis, sa famille son armée et la population d’Accalmie qui subissait un blocus pendant la rébellion de Robert, fut récompensée par Stannis lui même qui l’a anobli… tout en le punissant pour son crime de contrebande en lui faisant couper des doigts ! C’est pourquoi sa popularité n’est pas bonne dans le royaume, prétexte pour Renly, dernier de la fratrie Baratheon, pour revendiquer le trône en lieu et place de son aîné Stannis… qui le fera assassiner pour avoir trahi son souverain légitime (une scène digne du Parrain, quand Michael Corleone fait assassiner son propre frère qui l’avait trahi, Fredo… Le fratricide est donc un thème récurrent des grandes sagas familiales, et nous poussent dans nos propres retranchements psychologiques car la trahison d’un frère nous incite à trouver des excuses à la vengeance du frère trahi… terrible !)
Bref, on a l’impression que Stannis Baratheon tient plus de la machine que de l’homme, laissant finalement peu de place aux sentiments. Sauf pour sa fille, Shoren, dont on comprend au début du livre qu’il est un des seuls de la famille à aimer. D’où l’horreur qui nous prend aux tripes quand il la fait amener au bûcher, seul espoir qu’il lui reste de ne pas mourir dans les neiges des terres du nord.
A mes yeux, la figure de Stannis soulève 3 sujets majeurs pour les papas que nous sommes :
- Quand l’intransigeance extrême confine à la folie : quand il sacrifie sa fille pour avoir un dernier espoir de ne pas être anéanti complètement, une question clé est posée. A quoi bon ? A quoi bon espérer une victoire et donc potentiellement vivre sans sa fille ? Comment peut-il envisager de vivre en étant responsable de la mort d’un de ses enfants ? Dans une moindre mesure, cette scène, terrible, pose une question forte pour nous, parents : dans quelle mesure imposons nous, parfois, des sacrifices “égoïstes” à nos enfants ?
- Aimer son enfant seul contre tous : les stigmates de la grisécaille contractée par Shoren en font une paria, sauf pour son père qui a toujours vu en elle sa fille et une grande princesse de Westeros
- Quand l’honneur prévaut sur tout : pour Stannis, il n’y a dans la vie qu’une seule vérité, qu’une seule loi : celle de l’honneur, qui confine à l’intransigeance. Et cette loi prévaut sur tous sentiments y compris familiaux. Ce qui pose la question de la manière dont nous jonglons, en tant que pères, entre nos valeurs et un certain “pragmatisme” au quotidien
Ne nous arrive-t-il pas d’imposer des sacrifices égoistes à nos enfants ?
Dans la série, Stannis Baratheon emporte avec lui ses troupes du Mur à Winterfell pour y affronter Bolton et conquérir le Nord, prélude à se conquête du royaume de Westeros tout entier. Contrairement à la bataille (perdue) de la Néra, il est cette fois accompagné de Mélisandre, la prêtresse rouge, mais aussi de son épouse et de sa fille. Mais pas de sa Main, Davos, à qui il demande de rester à Château-Noir. L’hiver étant là, et rude, le chemin vers Winterfell est en fait un chemin de croix où Stannis perd du temps, des hommes… et des provision sous les escarmouches des Bolton. C’est donc à la tête d’une armée décimée et affamée que Stannis arrive à quelques kilomètres de Winterfell. En militaire expérimenté, il sait qu’en l’état, la bataille est perdue. Il a tout misé sur cette offensive. Il sait qu’aucun acte rationnel ne peut empêcher sa défaite. Et là est le point de rupture de Stannis. Face à la perspective de l’échec, il abandonne toute rationalité, toute forme d’honneur. Et devient un homme prêt à tout pour ne pas perdre. Ce qui passe, dans son cas, par l’utilisation de la magie noire de Mélisandre. Comme quand il s’est retrouvé face à son frère Renly qui avait réussi à convaincre la plupart des bannerêts des Terres de l’Orage, tout comme les Tyrell d’Hautjardin de le rejoindre lui et non Stannis, affaiblissant par là même son frère aîné : c’est un sort de Mélisandre qui a permis d’assassiner Renly qui aurait certainement, sinon, conquis sans difficulté le Trône de Fer. Et là, aux portes de Winterfell, c’est le sacrifice de sa fille, exigé par Mélisandre, qui lui paraît la seule issue possible. Mais la seule issue pour lui, et son “pseudo” destin d’Azor Ahai dont il s’est persuadé, la prêtresse rouge à ses côtés.
C’est là que tout bascule.
La mère monstrueuse devient la mère honorable, qui essaie de convaincre Stannis qu’il ne peut sacrifier Shoren.
Le père “aimant” pour sa fille, qui avait une confiance aveugle en lui, devient le monstre qui l’envoie au bûcher pour garder un espoir de devenir souverain.
Évidemment, la magie n’opère pas, Stannis n’était pas le sauveur que Mélisandre croyait. Shoren a été sacrifiée pour rien. Et Stannis, avant même la défaite militaire finale, voit le gros de son armée fuir devant sa monstruosité, sa femme se pendre pour ne pas avoir empêché le meurtre de sa fille, et Mélisandre quitter l’ost pour Châteaunoir.
Stannis a fait brûler sa fille pour servir une folle ambition personnelle, qui, objectivement, n’avait plus aucune chance de se réaliser. Il s’agissait donc d’un acte de pur égoïsme d’un homme aveuglé par ses intérêts personnels.
Alors je sais que la plupart des parents, et des pères en particulier, ne seront jamais pousser à une telle extrémité vis à vis de nos enfants. Mais sommes nous certains de pouvoir dire que nous n’avons jamais imposé des sacrifices égoistes à nos enfants ?
Charité bien ordonnée commence par soi-même : pour ma part, et comme je l’ai écrit dans ma Lettre à mes enfants, il m’arrive fréquemment d’imposer à mes enfants de s’adapter à mes choix de vie.
Combien de matins les ai-je déjà réveillés car il fallait que j’arrive tôt au boulot pour une réunion ?
Combien de fois ai-je dit à ma grande “dépêche-toi” quand elle se préparait pour être à 7h30 à la porte du périscolaire ?
De notre vie professionnelles à nos envies personnelles, les tentations sont multiples de faire passer nos enfants “après”. Et c’est finalement une myriade de petites concessions que l’on fait avec notre éthique de parents, de papas qui veut que nous cherchions toujours et en toutes circonstances le meilleur pour nos enfants…
Aimer son enfant seul contre tous
Shoren, la fille de Stannis, a été atteinte de léprose (ou grisécaille) dès son plus jeune âge. Si elle a pu être sauvée de cette maladie prétendue incurable, elle n’en a pas moins gardé des lourds stigmates sur son visage, qui en ont fait une paria à Westeros. Au mieux était-elle considérée avec pitié, au pire avec craint, par peur d’une possible contagion. C’est donc dans la solitude que Shoren a été élevée. Mais surtout en manque d’amour maternel, sa mère considérant presque la maladie de sa fille comme un péché lié à sa propre faiblesse. Cela n’a pas empêché Shoren de développer une grande intelligence et une grande gentillesse, illustrée par la relation quasi filiale qu’elle entretient avec Ser Davos Mervault, Mais de Stannis et surnommé le Chevalier Oignon. Mais c’est aussi grâce à son père que Shoren a aussi pu se construire : même si on ne peut pas aller jusqu’à dire que Stannis fut un père aimant, il a toujours défendu sa fille (notamment face à sa mère) et assumé son lien de paternité avec elle. Il l’a toujours vue comme une princesse, et non uniquement comme une enfant handicapée, voire maudite. Et si on peut lui reprocher de ne pas avoir fait en sorte que tous ses sujets la considèrent comme une enfant normale, voire de ne pas l’avoir totalement “assumée” au grand jour, il n’en reste pas moins qu’il y a eu un lien d’amour fort entre le père et sa fille (ce qui a rendu d’autant plus brutal et monstrueux le sacrifice final de l’enfant par son père…)
Comment aimer son enfant seul contre tous ? Comment réussir à vivre, en tant que parent, en tant que père, sans le poids du regard des autres quand son enfant est différent ?
C’est un sujet difficile, car nous sommes convaincus, en tant que parents, que notre amour pour notre enfant n’aura jamais de failles. Que nous assumerons toujours tout, les concernant.
Sauf que…
Ce n’est pas si facile quand on est confronté à certaines difficultés. Cela commence par les plus petits tracas du quotidien : qui n’a jamais ressenti le poids de la honte au magasin, en tentant de calmer son enfant hystérique à la caisse, après un énième refus des bonbons placés en tête de gondole ? Alors projetons nous dans des cas plus difficiles, avec un enfant avec un lourd handicap, ou un adolescent à la dérive. N’avons nous jamais, nous mêmes, eu un regard dur, des paroles peu amènes dans certaines circonstances vis à vis d’autres parents, les jugeant sans même les connaître ? Difficile pour eux, alors, de conserver cet amour sans failles quand on a l’impression que le monde entier vous abandonne.
J’ai aussi ressenti fortement ce doute quand nous avons fait, pour nos 2 enfants, les tests liés à la trisomie 21. Une question m’a hanté longtemps (et finalement, continue de me tirailler aujourd’hui) : qu’est-ce que j’aurais fait si le résultat n’avait pas été “le bon”, si la probabilité que mon enfant soit touché par ce handicap était importante ? L’aurait-on garder ? Ou non ? Si oui, aurais-je été capable de l’aimer pleinement, sans gêne et sans remords, tout au long de ma vie ? Si non, cela signifiait-il que je “cédais” à une pression sociale ou a un désir égoiste de ne pas vivre une vie difficile avec un enfant handicapé ? Quand on y pense, quel choix difficile, qui, si on le creuse, nous pousse vraiment dans nos limites de parents…
Quel arbitrage entre nos valeurs profondes et un certain pragmatisme dans l’éducation de nos enfants ?
On ne va pas se le cacher : Stannis Baratheon n’est pas l’homme le plus flexible du monde ! Il est même l’intransigeance incarnée. Et, avouons-le, dans un univers fait de trahisons comme celui de Game of Thrones, cela rend le personnage assez honorable, voire estimable au fil de l’histoire. L’honneur, et le respect du droit sont des lignes blanches pour Stannis (et justifient même, d’ailleurs, qu’ils franchissent les limites même de ce droit et de cet honneur, quand il fait assassiner les usurpateurs du trône qui lui revient de fait), des valeurs avec lesquelles on ne peut et on ne doit pas transiger. C’est d’ailleurs une des raisons du choc ressenti au moment où Stannis fait bruler sa fille : au delà de l’horreur indicible lié à l’infanticide, on assiste, au fond, au meurtre de ses propres valeurs, à la trahison de tout ce qui faisait de lui un homme encore un peu honorable…
Je pense que nous avons tous des valeurs profondes, liées à notre éducation et notre histoire. Des valeurs qui nous tiennent profondément à cœur et que nous voulons transmettre ou appliquer dans l’éducation de nos enfants. Et toujours, avant d’être confronté à LA situation qui va mettre à l’épreuve nos principes, nous sommes intimement persuadés que nous ne cèderons pas aux sirènes de la facilité. Et pourtant…
Quel père n’a jamais dit “avec moi, pas de tétine” et a finalement cédé après 4 semaines sans sommeil ?
Quel père n’a jamais dit “pas d’écran avant 3 ans” et s’est retrouvé, aux 18 mois de l’enfant, à dire dans une conversation “bon, on lui met une petite comptine de temps en temps parce que ça me donne 10 minutes de répit ça lui fait plaisir” ?
Quel parent n’a jamais justifié un comportement un peu limite de son enfant par, au choix “une grande créativité” / “une énergie folle” / “un vrai humour” de sa progéniture ?
Bref, confronté à la dure réalité de la parentalité, certaines de nos valeurs sont progressivement noyées dans l’océan du pragmatisme. Mais est-ce fondamentalement un mal ?
Après maintenant plus de 4 ans d’expérience de la paternité auprès de 2 petits loustics, je pense qu’au contraire, il faut laisser une place au pragmatisme dans notre éducation. Cela ne doit pas être un moyen de justifier des carences éducatives, ou un certain laxisme. Mais c’est simplement accepter que la réalité est parfois plus complexe que le monde éthéré des idées et des concepts éducatifs. Et que nos enfants sont les rois pour mettre à jours certaines contradictions intrinsèques à nos valeurs profondes…
Alors pour ma part, je considère que certaines valeurs fortes me guident, en tant que papa, dans ma relation avec mes enfants. Et je ferais tout pour leur transmettre ces valeurs car je suis convaincu au plus profond de moi même que cela les aidera à avancer sereinement sur leur chemin de vie. Mais ces valeurs ne doivent pas être un boulet que nous trainerons collectivement et donc que certaines concessions sont évidemment possibles. Pour la paix des familles et l’épanouissement de chacun !
Stannis Baratheon est donc un personnage très utile dans nos analyses de papas en devenir. Je dois dire que c’est un de mes personnages préféré de la série car il oscille en permanence entre la figure du héros et celle de l’anti-héros : on se prête parfois à l’admirer et à le détester. Il est à l’image de la vie qui nous ballotte au gré des vents. Et nous met au défi d’être ce à quoi nous aspirons : des papas aimants qui réussiront à faire en sorte que nos enfants soient heureux dans leur propre vie.
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