Parlons maintenant de Tywin Lannister, l’homme le plus craint de Westeros. Seigneur de Castral Roc, il a fait de la famille Lannister la famille la plus influente du royaume, celle qui a fait tomber la maison Targaryen et qui a mis sa fille Cersei sur le trône aux côtés de Robert Baratheon. Père de 3 enfants (Cersei, Jaime et Tyrion), Tywin est une figure très intéressante à analyser, notamment car sa “main de fer (ou d’or !) dans un gant d’acier” a toujours eu pour but la pérennisation de la puissance de sa famille, garante pour lui, du “bonheur” de ses enfants.
Si je devais sortir 4 axes de l’analyse du père qu’est Tywin Lannister, je dirais que :
- Veuf depuis la mort en couches de son épouse à la naissance de Tyrion, il a géré sa famille comme on gère une entreprise. Froid et calculateur, il a été pour ses enfants un enseignant plus qu’un éducateur. Ce qui pose la question de ce que nous devons transmettre, en priorité à nos enfants une fois devenu père : des valeurs, des connaissances, des émotions, des compétences ?
- Obnubilé par la puissance de sa famille, il a fait de ses enfants des rouages de cette “œuvre globale”. Ce qui pose la question de ce qu’on projette pour nos enfants : doit-on les guider vers ce qui nous parait être bien pour eux ou les laisser libre de se tromper ?
- Traumatisé par le handicap de Tyrion, il en a noué des relations complexes avec chacun de ses enfants. Ce qui pose la question de notre capacité à gérer les graves crises de la vie en tant que père, et de l’impact que cela a sur nos enfants.
- Enfin, la découverte par Tyrion de son amour, Shae, dans le lit de son père, pose la question de l’exemplarité : peut-on toujours faire ce que l’on dit et dire ce que l’on fait ? Et si ce n’est pas le cas, comment expliquer nos contradictions à nos enfants ?
Que transmettre à nos enfants ?
“A Lannister always pays his debts”. “Un Lanninster paie toujours ses dettes”. Plus qu’une devise, un mantra qui caractérise cette famille crainte dans tout Westeros. Car quand on ne parle plus d’argent, cette phrase prend l’aspect d’une menace non voilée pour tous les opposants aux Lannister. Et Tywin est l’incarnation de cette menace et de cette peur qu’il a su inspirer, même au roi Aerys. La puissance de sa famille et son accession aux plus hautes destinées : tel a été le défi de sa vie… et l’objectif qu’il a également fixé à ses enfants. Cersei, élevée pour devenir reine, promise à Rhaegar Targaryen puis à Robert Baratheon. Jaime, contraint à devenir garde royal (donc sans héritier) mais dont Tywin a toujours pensé pouvoir le faire redevenir l’héritier de Castral Roc. Et Tyrion, le nain honni mais si brillant intellectuellement qu’il ne pouvait être renié et pouvait contribuer tout de même à la gloire des Lannister (Tywin lui demande d’être main du roi Joffrey à sa place le temps de terminer sa campagne militaire contre le Nord). Bref, dans son rôle de “transmission” en tant que père, le choix de Tywin Lannister a été clair : une valeur, “la famille”, un objectif “la puissance”, des compétences, “l’intelligence politique pour vaincre tout adversaire”. Aucune place à l’émotion, l’empathie, l’introspection. Je dirais même que pour lui, l’individu n’existe pas vraiment et n’est qu’un rouage dans un mécanisme qui le dépasse. Ce qui se fait évidemment au détriment de ses enfants (et petits enfants), qui sont, si on les regarde objectivement, tous plus ou moins alcooliques, névrosés et malheureux. Poussant même les jumeaux à une relation incestueuse, seule à même d’engendrer une descendance suffisamment pure pour être conforme aux attentes de leur père…. La question se pose donc, dès la naissance de nos enfants : qu’est ce que je veux leur transmettre en tant que père, consciemment et volontairement ? Est-ce que je dois développer leur intelligence rationnelle, pour qu’ils réussissent dans une société de chiffres et d’argent ? Ou dois-je développer leur intelligence émotionnelle (et relationnelle) pour qu’ils s’en sortent dans une société éminemment politique ? Voire comment puis-je leur transmettre suffisamment des deux voies ? Et quid des valeurs auxquelles je suis attaché en tant que père, et que mon propre père : dois je les transmettre ou laisser le discernement de mes enfants agir pour qu’ils se les approprient ? Toutes ces questions sont éminemment compliquées, et stressantes, je trouve, pour les parents que nous sommes. Quand on voit la profusion d’offres de soutiens scolaires qui ont émergé, y compris pour les enfants les plus petits, jouant sur la peur de l’échec que peuvent ressentir les parents, on distingue la pression qui pèse sur nos épaules concernant le “bagage” à transmettre à nos enfants pour leur futur. Mais l’exemple de Tywin montre quand même que plaquer ses propres schémas de pensée sur ses enfants, sans discernement par rapport à leurs capacités, leurs aspirations, et surtout sans jamais penser à ce qui pourrait faire leur bonheur, mène forcément à l’échec, voire à la catastrophe pour chaque membre de la famille.
Doit-on guider nos enfants ou les laisser libre, notamment de se tromper ?
Tywin n’a jamais laissé ses enfant libres de leurs choix. Ni enfants, ni adultes. La peur qu’il leur inspire agissant comme une camisole sur leurs désirs d’émancipation. Or, force est de constater que le bilan du patriarche Lannister est pour le moins contrasté, si ce n’est décevant par rapport au but de puissance et de pérennité de sa famille à Westeros. Alors s’il est clair qu’il est nécessaire de guider les enfants les plus petits, la question se pose de la dose de liberté à laisser dans le processus éducatif. Doit on laisser un enfant faire des choix libres dont on sait pertinemment qu’ils ne seront pas couronnés de succès ? Cette question pose clairement la question du rapport que nous avons, en tant que père, à l’échec. Et particulièrement la manière que nous avons de vivre un échec de notre enfant. A mes yeux, normalement, notre mission de père est d’apporter à notre enfant un bagage suffisant pour fonder sa propre famille et vivre sa propre vie sans nous. L’acquisition de la liberté de décision est donc une étape indispensable pour y arriver, quitte donc à essuyer des échecs, mon rôle de père étant d’aider mon enfant à comprendre, assimiler et dépasser cet échec. Mais où placer les limites ? Trop d’échecs ne peut il pas inhiber l’enfant ? Trop de liberté également ? Et, comme Tywin Lannister, pourquoi ne puis je pas parfois supporter le regard des autres quand les enfants échouent ? Cela fait il de moi un mauvais père ? Leur échec est il mon échec ? Toutes ces questions, souvent inconscientes, sont je trouve très importante lorsqu’on devient père et n’ont pas de réponse unique. Encore une fois, je pense que c’est le discernement que nous pouvons avoir sur nos enfants et ses capacités qui doit nous permettre de trouver le bon dosage entre liberté et guidage. Et ce discernement passe nécessairement par la construction d’un lien de qualité, de confiance réciproque avec chaque enfant.
Comment gérer les graves crises de la vie en tant que père ?
Mettons nous à la place de Tywin : perdre sa femme lors de son accouchement d’un enfant nain, pour le patriarche de la famille dorée, c’est une double tragédie. Il en tirera à la fois une grande solitude qui l’amènera à gérer seul l’éducation de ses enfants (avec les conséquences que nous avons évoquées) et une grande amertume qui le conduira à presque nier son lien de paternité envers Tyrion, comportement qui aura de grandes conséquences sur toute la fratrie (Cersei adoptant la même posture de haine envers son frère tandis que Jaime jouera le vrai rôle de frère aîné aimant et aidant). Cette amertume est d’autant plus renforcée que Tyrion, par sa grande intelligence, est le fils qui lui ressemble le plus, miroir difforme de lui même que Tywin ne peut supporter. Il est clair en tout cas que notre vie de père sera (ou est déjà) jalonnée de drames et de tragédies, de la perte d’un être cher au handicap d’un proche, voire de son enfant. Ces drames sont évidemment des énormes défis. Défis personnels, défis pour le couple, défis pour la famille. Des montagnes à gravir et à dépasser. Face aux difficultés, nous avons de nombreuses tentations pour éviter de les affronter : le déni, la colère, l’affliction ou l’évitement. Toutes ces stratégies sont des diversions qui ne peuvent avoir que des conséquences funestes, à terme, pour vous, votre couple ou votre famille. Pour un enfant, comprendre que son père ne fait pas face à la réalité, (surtout quand, comme Tywin, on a toujours poussé ses enfants à faire face à la dure réalité du monde) est difficile à assimiler et potentiellement très insécurisant. Bref, devenir parent, c’est devoir assumer le fait d’être celui qui tient le cap dans la tempête, rôle qui était jusqu’alors dévolu… à nos propres parents !
Dernier point, l’exigence d’exemplarité
Si on considère que chacun d’entre nous doit “tuer le père” pour en devenir vraiment un, on peut dire que Tyrion est totalement prêt à devenir papa ! Mais il est intéressant de considérer que le point de bascule de Tyrion envers son père, (celui qui l’a à la fois poussé à oser s’opposer à Tywin mais aussi à faire de lui un meurtrier), c’est la découverte de Shae, sa “compagne” qui l’avait trahie lors de son procès, dans le lit de son père. Tywin Lannister, l’homme qui avait toujours détesté les multiples aventures de Tyrion avec des prostituées, qui maudissait son fils pour ses légendaires sorties dans les bordel de Westeros et qui l’avait cruellement puni de s’être follement épris d’une fille de joie. Lui, Tywin Lannister, finalement lui aussi capable de succomber aux plaisirs de la chair, après tant d’années de culpabilisation de son fils. Vision insupportable pour Tyrion, pour qui son père n’était plus dès lors qu’un lâche et menteur qui l’avait martyrisé toute sa vie pour une fausse morale.Qu’en est-il de notre côté quand nous exigeons de nos enfants des choses que nous ne nous appliquons pas à nous même ? Il est d’ailleurs très intéressant de constater que les enfants, très jeunes, sont capables de nous mettre face à nos contradictions. Faut-il faire comme souvent, à savoir user de l’argument d’autorité, le fameux “de toute façon, je suis le papa, et c’est comme ça” pour clôturer le débat ? Ou au contraire, reconnaître la contradiction et s’en excuser auprès de son enfant, au risque de faire aveu de faiblesse ? A mes yeux, la clé réside dans la cohérence : faire amende honorable sur certains petits sujets (j’aime grignoter avant de manger alors qu’on l’interdit aux enfants… Pris sur le fait, je n’ai aucun mal à reconnaître mes torts, ce qui m’incite en plus à vraiment perdre cette habitude !) est pour moi tout à fait approprié, à condition qu’il y ait une réelle volonté de changement derrière. Par contre, sur des sujets plus graves ou plus sensibles, je pense qu’il faut savoir expliquer une apparente contradiction, et l’expliquer sans s’excuser. Je constate que les enfants essaient toujours de nous piéger quand ils ont le sentiment qu’on accorde plus de privilèges à un membre de la fratrie qu’à un autre. Dans ce cas, pour moi, à moins que vous ne soyez vraiment pas justes (et auquel cas c’est un autre problème à résoudre), il faut être capable d’expliquer les raisons d’un traitement différencié. Qu’ils l’acceptent ou non, les enfants auront en tout cas une réponse bien plus intéressante à réfléchir que le stupide argument d’autorité !
Pour conclure, je trouve le personnage de Tywin passionnant en tant que père. Car s’il n’a jamais débordé d’amour pour ses enfants, on ne peut cependant pas lui reprocher d’avoir voulu le meilleur pour eux. Le meilleur selon son propre point de vue, c’est là le cœur du problème de la famille Lannister. Mais le meilleur tout de même. Ce qui est un point clé lorsqu’on devient papa : avoir la responsabilité d’un destin autre que le sien entre nos mains, tout en sachant que notre enfant n’est pas nous même et qu’il devra, un jour, s’envoler seul.
[…] une des seules grandes familles de Westeros à ne pas disposer d’une telle arme, au grand dam de Tywin Lannister dont tout l’or de Castral Roc n’a jamais pu acheter de l’acier valyrien). Mais c’est aussi […]