Ah bon ? Jaime Lannister est papa ? Je croyais que les gardes royaux… Si tu en es là mon ami, regarde la série, lis les livres, ou, en tout cas, passe ton chemin, car tu vas droit vers un énorme spoiler…
Jaime est donc le père des 3 enfants de Robert Baratheon. Ces enfants sont le fruit de la relation incestueuse qu’il entretient avec sa soeur, Cersei, sans la plus pure tradition des Targaryen qui ne mélangeaient pas leur sang pour préserver la pureté de leur lignée (en ce sens, c’est une manière un peu extrême d’appliquer les principes eux mêmes un peu extrême de leur (gentil ?) papa Tywin Lannister). Les débuts de l’oeuvre de Georges RR Martin coincident avec la mort de Jon Arryn, qui avait compris que Joffrey, Myrcella et Tomen n’étaient pas des enfants légitimes. La rumeur ne fait ensuite qu’enfler et atteint son paroxysme à la mort de Robert, lorsque Stannis et Renly Baratheon, frères du défunt, revendiquent le trône au nom de la bâtardise des 3 enfants de Cersei.
Garde royal ayant fait vœu de célibat et frère de la reine : on comprend que Jaime Lannister n’ait pas vraiment revendiqué sa place de père dans la famille. Néanmoins, même dans l’intimité de sa relation avec Cersei, on ne peut pas dire que Jaime se soit jamais vraiment préoccupé de ses enfants, essentiellement tiraillé entre l’amour inconditionnel pour sa sœur et ses rêves de laisser une trace de sa vie de chevalier, autre que celle de régicide.
Le père qu’est Jaime Lannister soulève 3 questions intéressante dans notre analyse littéraire de “devenir-papa.com” :
- C’est d’abord la question de la fuite des responsabilités de père qui est posée par le personnage de Jaime. Mais ne sommes nous pas tous tentés, une fois devenus papa, de garder plus qu’un pied dans notre “vie d’avant” ?
- C’est ensuite la question de la place que le père doit se faire dans le nouvel équilibre familial qui se pose : comment y arriver ?
- Enfin, nous l’avons dit, Jaime prend plus à coeur sa fonction de garde royal que celle de père. Dans quelle mesure parvenir à concilier aspirations à une belle carrière professionnelle et relations épanouies avec nos enfants ?
Face à nos responsabilités de pères, la tentation de la fuite
Jaime n’assume pas sa responsabilité de père. Il y a les circonstances qui l’en empêcheront pendant de nombreuses années. Mais même dans l’intimité familiale, même quand les Lannister seront au maximum de leur puissance, il ne montrera jamais un intérêt manifeste pour la paternité. Il y a aussi le poids de Cersei dans la famille qui a pu être un frein, nous le verrons dans le deuxième point sur la place du père. Mais clairement Jaime à vraiment rien fait pour assumer son rôle, ses responsabilités de père. Et si la perte de sa main d’épée est source de remises en question profondes de son être, elle va finalement peu impacter sa réflexion sur sa place en tant que papa. L’illustration la plus flagrante de ce désintérêt pour ce rôle étant la scène d’amour avec Cersei à côté de la dépouille de leur fils Joffrey, montrant parfaitement que pour Jaime, rien d’autre ne compte que sa sœur.
En tant que père, je pense que nous avons tous eu dans un coin de la tête la tentation de le fuite. Ou nous avons pu voir des amis / connaissances pratiquer activement la fuite, notamment via une implication plus qu’importante dans le travail (un moyen simple et pratique de justifier sa non implication…). Fuir quand bébé est difficile, fuir quand on découvre les véritables engueulades dans le couple, fuir quand on se rend compte que l’insouciance, c’est (vraiment) fini. Cette posture rejoint un peu celle de Robert Baratheon, lors de sa venue dans le Nord, au début de l’ouvrage, qui propose à Ned de fuir avec lui et de devenir des chevaliers errants, aux aventures héroïques et conquêtes féminines nombreuses… Devenir père, c’est affronter ce paradoxe qui nous pousse à vouloir nous engager pleinement dans notre rôle de papa, tout en préservant notre indépendance d’homme. Cela suppose, à mon sens, une vraie “réorganisation” de la vie de couple et de famille, pour réussir à préserver des “sas de décompression”, pour se sentir pleinement vivant.
La place du père dans la famille
Ce second point rejoint le premier : la tentation de la fuite peut être d’autant plus grande que le père ne trouve pas sa place. Ou ne la prend pas. Dans le cas de Jaime Lannister, il est clair que la place occupée par Cersei auprès de ses enfants, qui sont pour elle tout ce qui la tient hors de la folie, rend difficile l’affirmation de la position du père. Néanmoins, trop souvent, nous, les hommes, nous cachons derrière cet argument pour ne pas prendre vraiment notre place. Combien d’hommes ai je entendu me dire “ta femme allaite ? Cool pour toi, t’auras rien à faire !” comme si je n’avais pas moi aussi une place à prendre dans ce nouveau trio qui se crée. Et c’est vrai que la rôle de la mère, notamment dans les premiers mois de vie de l’enfant, est tel que la tentation est grande de laisser les choses se faire et penser construire sa place plus tard, quand l’enfant aura un peu grandi. Pour ma part, j’ai clairement adopté une posture différente pour mon deuxième enfant. Beaucoup plus active, plus forte. Et je dois avouer que j’en suis très heureux, tout comme l’ensemble de la famille.
Équilibre vie pro / vie perso
La grande question que voilà ! Et dire que même dans un univers médiéval fantastique, ce problème est soulevé ! Car il est clair que quand bien même Jaime aurait voulu assumer son rôle de papa (je passe sur la jurisprudence qu’il aurait dû créer pour rester garde royal, avis à ceux qui voudrait lancer un blog “vie juridique à Westeros”), sa fonction l’aurait vite contraint à revoir ses ambitions de “relations denses avec ses enfants” à la baisse. Or, combien de pères aujourd’hui se trouvent dans ce type de situation ? Nombreux sont ceux qui, aspirés par leur carrière, voient leurs enfants grandir plus vite que leur compte en banque. Et s’en plaignent. Or, sur ce point, je suis assez virulent et assez peu compatissant car je pense que nous avons toujours le choix. Le choix de dire non aux abus au travail, le choix de rentrer plus tôt, le choix d’être moins perfectionniste pour gagner du temps. Voire le choix de changer de job ! Alors ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : tous ces choix auront des conséquences. Moindres évolutions de carrière, moindre progression de salaire, j’en passe. Mais c’est le propre de tout choix que nous faisons. Et c’est aussi, pour moi, un point clé dans le processus qui fait de nous des pères : nos choix, nos décisions n’impliquent plus que nous seuls mais notre relation avec nos enfants. Vous savez, ces petits êtres qui n’ont pas demandés à être là, mais maintenant qu’ils le.sont, qui exigent de nous un peu de présence, d’attention mais surtout du temps. Et pas que ce temps “quali” qui n’est trop souvent qu’un cache misère de notre déséquilibre d’investissement entre vie pro et vie perso.
Jaime Lannister est donc un père extrêmement intéressant dans Le Trône de Fer. Quand bien même il n’assume absolument pas son rôle de papa, à son corps défendant (ou pas), ses choix et non-choix mettent en exergue des écueils qui nous menacent tous, un jour ou l’autre, dans notre vie de père.
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